- Jean Louis Gasset, ce n’est pas un crève-cœur que d’abandonner l’équipe alors qu’elle va jouer l’Europe ?
« Je n’abandonne pas. Je ne suis plus en état, je n’ai plus d’énergie. Ne dites pas que j’abandonne. Je n’abandonne rien, ni personne. »
- Quand avez-vous pris votre décision ?
« Il y a un petit moment. Pourquoi j’ai tardé à parler ? D’abord pour ne pas déstabiliser le groupe pour arriver à l’objectif. Et, samedi, après le match, je n’ai pas voulu plomber l’ambiance, le soir où on est européen, on a fait la fête avec notre public. Je n’ai pas eu envie de faire un contre-événement. Je savais déjà, mais je ne pouvais pas noircir le tableau. »
- Quelle a été la réaction de vos joueurs ?
« J’ai été pris un peu de court parce que j’avais fait un timing : je voyais le président lundi matin, mes joueurs ce mardi après midi et je faisais une conférence de presse pour le match d’Angers. Malheureusement, deux heures après avoir vu le président, c’était sur tous les médias. Je ne sais pas d’où c’est sorti, mais c’est sorti. Donc, j’ai dû appeler mes cadres un par un pour qu’ils ne l’apprennent pas par la presse. »
- Et comment ça s’est passé ?
« J’étais dans l’émotion, eux aussi. On a vécu 18 mois magnifiques, on a souffert ensemble, mais j’avais confiance en eux, je savais qu’on arriverait à l’objectif, même si ce n’est qu’à l’avant dernière journée . Le destin voulait qu’on enfonce le clou à Geoffroy-Guichard devant un public record. Il n’y a pas beaucoup de gens qui peuvent se vanter d’avoir une telle ambiance. »
- Rien n’aurait pu vous faire rester ?
« Personne ne peut lutter contre ma famille. »
- C’est dur malgré tout comme décision ?
« Oui, parce que je vois les gens inquiets. Ils ne connaissent pas ma vie, ne voient que le football. Ils me demandent de rester. Il y a deux trois jours difficiles et après, quand je me retournerai je me dirai, « tu as rendu des gens heureux ». Mais je reviendrai à Geoffroy-Guichard pour la coupe d’Europe et je me dirai que j’ai un peu participé. »
- Vous avez connu de telles émotions par le passé ?
« Je réfléchissais et me demandais pourquoi j’étais autant fatigué. Il y a une grande différence. C’est qu’avant, j’étais numéro deux et n’avait pour souci que l’entraînement. Tout ce qui est relations avec les dirigeants, la presse… C’est un métier que de parler à la presse. Il ne faut pas faire d’erreur de français parce que sinon, vous allez dire que je ne suis pas allé à l’école. Je me prépare comme si je préparais un examen, j’ai toujours mon petit papier, j’ai besoin de me rassurer. Tout ça, je ne m’en rendais pas compte. Quand je travaillais avec Laurent Blanc, c’est lui qui discutait avec le président, disait à quelle heure on part en avion, à l’hôtel. Moi, c’était l’entraînement. Numéro un, il y a beaucoup de décisions à prendre, vous ne faites que parler. J’ai regard Ghislain entraîner pendant 18 mois. Le reste du temps, il faut parler avec les uns les autres, des soucis des uns, des autres… »
« Sur le terrain, seul face à un kop, c’est le frisson total »
- Qu’est ce qu’il vous reste de cette période ?
« L’accueil des gens. Quand on arrive, que le club n’est pas très bien, après un cataclysme dans un match précis (le derby), ils vous regardent avec l’air de dire « Sors-nous de là ». Et Geoffroy-Guichard… Quand on est dans la tribune, on se dit « quelle ambiance ». Mais quand on est sur le terrain, seul face à un kop, c’est le frisson total. Ca restera gravé à vie. »
- L’émotion la plus forte justement, c’est le sauvetage de l’an dernier ou la coupe d’Europe ?
« C’est pareil. Vous réussissez votre mission. »
- Numéro un, c’était trop dur, mais on vous reverra en numéro deux ?
« Je ne sais pas. Je vais rentre chez moi et me reposer. Je l’avais fait après Montpellier. Louis Nicollin m’avait appelé parce que le club était mal classé et alors que je venais de subir un deuil (son épouse). Je n’étais pas en état mais j’ai fait la mission parce que c’est mon club, mais après cinq mois malgré deux ans de contrat, j’ai dit « j’arrête ». J’avais passé tout l’été avec ma famille au bord de la piscine, jusqu’à ce que la président Romeyer me téléphone pour sauver Saint-Etienne. Plus vous avancez dans l’âge plus où il faut de temps pour récupérer d’un effort. Vous allez connaître ça aussi. »
- Est-ce que c’est aussi parce que vous avez demandé des moyens supplémentaires ?
« Non, parce que c’est partout pareil. Les présidents connaissent les limites de la bourse et nous, on ne pense que terrain et bons joueurs. Le tout, c’est trouver un équilibre. »
« Avec le président, on avait des relations normales avec quelques frictions »
- Les rapports étaient faciles avec le président?
« J’ai lu qu’on ne s’entendait pas trop. On avait des relations normales avec quelques frictions, c’est logique. Il est vrai que le club a fait de gros efforts lors du premier mercato hivernal même si les joueurs en ont fait aussi pour venir parce qu’ils avaient des objectifs sportifs. La situation était grave, il fallait des joueurs qui ont de la bouteille. C’est une collaboration et on trouve toujours des solutions, Le truc, c’est que c’est toujours l’entraîneur qui doit s’adapter. J’ai tel joueur, il faut que je joue avec».
- Jusqu’à samedi on vous sentait très combatif. C’est la fin de la compétition qui fait que le changement est spectaculaire quand on vous voit ?
« Non, c’est l’émotion Ce n’est pas une décision facile à dire. Pas à prendre parce que je suis dans la logique de ma vie. Mais le dire aux joueurs à des journalistes, c’est compliqué, parce qu’on est dans l’émotion…»
- Des joueurs sont venus parce que vous étiez là. Ils auront envie de rester ?
« Je ne suis pas à la place des joueurs, mais ils ont des contrats. Ils verront avec le club si c’est possible ou non. Je pense qu’ils étaient très solidaires avec moi parce qu’ils avaient envie que je reste et qu’ils me sentaient un peu usé et ils voulaient me booster un petit peu… Mais après, les joueurs sont sous contrat».
Didier Bigard