La Fia a choisi d’adopter le HALO comme système de protection des pilotes à partir de la saison 2018 de Formule 1. L’un des derniers points sensibles de la sécurité des monoplaces sera renforcé pour rendre la compétition encore plus sûre. Au détriment des fans ?
La sécurité en Formule 1 et en sports automobiles a constamment progressé depuis la création du championnat du monde de Formule 1 en 1950. Cela a même été une constante de la part de la FIA, la Fédération Internationale de l’Automobile. Les accidents dramatiques ont quasiment disparus des circuits. Néanmoins, des chocs et des sorties de pistes spectaculaires arrivent encore comme ce fut le cas avec Carlos Sainz au Grand Prix de Russie 2015, l’accrochage Alonso/Raikkonen dans le premier tour du Grand Prix d’Autriche, toujours en 2015 sans parler des tonneaux d’Alonso quand il a heurté Esteban Gutierrez au Grand Prix d’Australie 2016.
Les origines de cette protection de la tête
Le risque avec ces progrès dans la recherche de la sécurité, c’est que les pilotes, les écuries, même les instances dirigeantes de la FIA ont eu trop tendance à penser que la Formule 1 est devenue sans danger. Les pilotes étants toujours sortis indemnes de leurs sorties de pistes. Deux accidents marquants sont venus rappeler la triste réalité du sport automobile.
Felipe Massa heurté à la tête par un élément de suspension de la voiture de Rubens Barrichello au Grand Prix de Hongrie 2009.
Le drame a été évité de justesse. La frayeur a été grande dans le paddock quand le pilote Ferrari sort de la piste. L’accident est intervenu le samedi lors des qualifications. Felipe Massa suit la Brawn de Barrichello quand un élément de suspension s’échappe et vient heurter Massa au niveau du casque. Le pilote Brésilien de chez Ferrari a perdu connaissance et est venu s’encastrer dans les murs de pneus du circuit. L’image du casque endommagé et du pilote blessé ont fait le tour du monde. Voici une reconstitution en 3D de l’impact.
Les images 3D du choc de Massa sont visibles ici
Cet accident qui a blessé physiquement un pilote était le premier depuis quelques années. La Fia s’est penchée sur la question et a apporté des premières solutions. C’est ainsi qu’est apparu en 2012 une bande de carbone au dessus de la visière, là ou avait eu lieu l’impact sur le casque de Massa en 2009. Cette bande de carbone est venue renforcer une zone sensible : la visière. Depuis lors, aucun incident grave n’est venu entacher la discipline reine du sport auto.
Le choc puis l’émotion : le décès de Jules Bianchi
C’est la tragique sortie de piste du jeune pilote Français lors du Grand Prix du Japon 2014, le laissant dans le coma neuf mois avant de décéder le 17 juillet 2015 (Lire notre hommage à Jules Bianchi) qui achèvera de convaincre la Fia de faire quelques chose pour améliorer la protection des pilotes au niveau de leur tête. La disparition de Jules Bianchi est un énorme choc car il était très respecté et apprécié des autres pilotes et sa mort tragique lors d’une course marque la première depuis le décès de Roland Ratzenberger et Ayrton Senna à Imola (Italie) en avril/mai 1994. Le rapport d’enquête publié par la Fia montre que le choc en « g » subi aurait été moins grave si une protection en avait amorti la plus grosse partie. La travail préparatoire a alors été lancé en concertation avec les écuries.
Soulignons que quelques semaines seulement après le décès de Jules Bianchi, c’est Justin Wilson, un pilote d’Indycar qui est mort à cause de débris qui ont heurté son casque après un accident sur l’oval de Pocono en Pennsylvanie aux Etats-Unis.
Les différentes solutions imaginées et testées
Le Halo
Ferrari est la première a dégainer une version de ce halo. Ferrari profite des essais hivernaux qui se déroulent à Barcelone avant l’ouverture de la saison 2016 de Formule 1 pour faire effectuer les premiers tours de roue à sa monoplace dotée du halo. Le halo est donc un arceau rigide en carbone soutenu par un pilier central, solidement rivé sur le dessus de la cellule de survie.
Les critiques ne se font pas attendre. Une majorité de pilotes jugent que cet artifice dénature l’esprit de la Formule 1 dont le concept est d’être une monoplace qui laisse la tête du pilote à découvert, le but étant que les spectateurs puissent les apercevoir des tribunes. Christian Horner, directeur de l’écurie Red Bull était de cet avis. Une autre critique entendu : « Cela va perturber notre champ de vision, nous ne pourront plus appréhender les virages correctement! ». George Russel, un jeune pilote de l’écurie Mercedes qui a pris part à des tests d’inter saison avec la firme à l’étoile a pu l’essayer. Il a déclaré ne pas être gêné par le Halo. Mieux, ce dispositif l’avait protégé de l’éblouissement des rayons du soleil. Comme quoi.
Pour sa part, Raikkonen qui a été le premier pilote a essayer cette solution a tenu le commentaire suivant : « C’était OK. La première impression concernant ce test de visibilité est positive, la structure ne réduit pas la visibilité ». Chacun des pilotes devant se faire une idée du pilotage avec cet outil, tous ont eu pour mission de mettre a profit les séances des essais libres des vendredis matins de Grand Prix pour l’essayer et faire des tours avec.
L’Aeroscreen
Face au tollé suscité par le Halo, de nouvelles solutions devaient être imaginées. Red Bull est arrivée au Grand Prix de Russie de cette même année avec son idée, l’aeroscreen. Il s’agit ni plus ni moins d’un pare-brise. Daniel Ricciardo et Max Verstappen ont essayé le dispositif toujours en essais libres. L’idée lors de ces sorties était dans un premier temps de tester la visibilité avec ce dispositif. L’Australien s’est montré plutôt intéressé : « La première impression est plutôt bonne.
C’est évidemment un peu dépaysant au début, le son du moteur résonne différemment par exemple, mais la vision est satisfaisante ». Cependant, parce que les instances dirigeantes n’étaient pas pleinement convaincues par cette option, Red Bull a annoncé en juin 2016 arrêter son travail autour de cet équipement, ne voulant pas gâcher de l’argent inutilement.
Le « Shield » (bouclier)
Le développement autour du Halo doit se dérouler dans les coulisses. Tant la Fia que les écuries réfléchissent à des dispositifs qui n’iront pas l’encontre de la performance aérodynamique des monoplaces et du refroidissement du moteur dont l’entrée de la boîte à air se situe quelques centimètres plus haut. C’est dans ce contexte qu’est apparue une troisième solution ; le shield ou bouclier en français. Ce dispositif a directement été conçu par la Fia et c’est Ferrari et Vettel qui ont eu l’honneur de le tester lors des essais libres du dernier Grand Prix de Grande Bretagne à Silverstone. Ce dernier est fabriqué en polycarbonate transparent.
Le moins que l’on puisse dire à ce sujet, c’est que Vettel n’a pas du tout apprécié l’expérience qui a tourné court après trois tours en piste. Cette vitre a presque rendu malade l’Allemand qui a livré le verdict suivant : « Je l’ai essayé ce matin (lors des essais libres matinaux, le 14 juillet dernier) et j’ai eu un peu le tournis. La vision vers l’avant n’est pas très bonne. C’est probablement à cause de la courbure, vous avez une grande distorsion, et de plus vous avez des perturbations aéros dans les lignes droites qui poussent le casque vers l’avant. Nous avions planifié un roulage, mais je n’ai pas aimé, alors nous l’avons enlevé ».
Adoption définitive du Halo
Le travail de la Fia
Après deux années de recherche et développement, la nouvelle est tombée le mercredi 19 juillet dernier, le Halo a été retenu pour entrer en fonction dès la saison 2018. Si les écuries se sont livrées à des tests pratiques en piste, la Fia a épluché les différents accidents survenus au cours de courses automobiles toutes catégories confondues pour voir quel aurait pu être l’impact d’un halo. Laurent Mekiès, directeur de la sécurité à la Fia a expliqué la démarche entreprise pour essayer de comprendre les apports du halo :
« Pour chacun de ces cas, nous nous sommes penchés sur le véritable accident et ensuite nous nous sommes demandés ce qui se serait passé si le Halo était monté sur la voiture. Nous connaissons la résistance du Halo, nous connaissons la résistance de l’attache à la voiture, etc. Nous connaissons la résistance de la plupart des pièces sur la voiture avec lesquelles le Halo pourrait interagir. »
« Donc nous avons joué le scénario du ‘et si…’, nous avons monté le Halo sur la voiture, nous avons resimulé ces accidents et ensuite, avons essayé pas seulement de simuler exactement l’accident en question, mais aussi, autour de ce scénario, nous avons essayé de regarder cinq centimètres au-dessus, dix centimètres au-dessus, dix centimètres sur la droite, dix centimètres sur la gauche, et ainsi de suite. À la fin, pour chacun des cas, nous avons alors regardé si c’était très positif, neutre ou négatif. »
Voilà par exemple le rendu des recherches. Différentes configurations ont été prises en compte. Retenons le cas contact voiture contre environnement :
Année | Catégorie | Lieu | Pilote impliqué | Contact avec | Impact du Halo |
1995 |
F3000 | Magny-Cours | M Campos (fatal) | Mur | Positif |
1999 |
CART | California Speedway | G Moore (fatal) | Mur | En cours d’analyse |
2001 |
F1 | Spa | L Burti | Mur de pneus | Positif |
2007 |
GP2 | Magny-Cours | E Viso | Mur | Plutôt positif |
2008 |
F1 | Barcelone | H Kovalainen | Mur de pneus | Positif |
2011 |
Indycar | Las Vegas | D Wheldon (fatal) | Mur | En cours d’analyse |
2012 |
F1 | Angleterre (essais) | M de Villota (fatal) | Camion | Positif |
2014 |
F1 | Suzuka | J Bianchi (fatal) | Grue | Neutre (allant au delà des capacités du Halo |
2015 |
F1 | Sotchi | C Sainz | Tecpro | Positif |
2016 |
F3 | Autriche | L Zhi Cong | Gravier | Plutôt positif |
2017 |
F1 | Monaco | P Wehrlein | Tecpro | Positif |
Source du tableau : travaux de la Fia présentés lors du Grand Prix de Hongrie
La question du Halo a également été débattue entre les équipes. Ces dernières se réunissent au sein du Groupe Stratégique. Habituellement composé des top teams, Mercedes, Red Bull et des écuries historiques, Ferrari, McLaren et Williams, une sixième écurie y est admise, la meilleure des autres, c’est à dire Force India. C’est ce groupe qui réfléchit aux orientations des règlements sportifs et techniques qui sont validés par la FOM (Formula One Management) et la Fia. Pour l’occasion, les dix écuries étaient présentent. Un vote a été effectué et le résultat était le suivant, neufs écuries contre pour une seule favorable. Cependant, sur les questions de sécurité, la Fia a toute la latitude d’action pour passer en force sur les points débattus qui la concerne directement. Sans surprise, c’est ainsi que le Halo a été adopté pour 2018.
Le Halo : un débat qui divise. Romain Grosjean et Fernando Alonso apportent deux points de vue tranchés
Romain Grosjean est farouchement opposé à ce dispositif. Le co-directeur du GPDA (Grand Prix Drivers Association) avec Sebastian Vettel s’est exprimé à Motorsport : « Personnellement, je pense que lorsque ça a été annoncé, c’était un triste jour pour la Formule 1. Et j’y suis toujours opposé, je ne pense pas qu’il ait sa place en Formule 1. En tant que membre et directeur du GPDA, en tant que pilote, je dois remercier la Formule 1 pour toutes ses recherches, car elles ont été plutôt bonnes, et le Halo est un système convaincant face à de nombreux cas de figure. Mais il y a des cas dans lesquels ça peut être pire, donc je n’en suis pas particulièrement friand. Nous pourrions avoir quelques problèmes auxquels nous n’avons pas pensé, comme pour voir les feux sur la grille de départ ; personne n’a essayé ça. Il y a toujours plein de choses différentes, comme voir les drapeaux sur le côté, des choses comme ça.
Mais encore une fois, le GPDA n’est pas là pour dire quoi faire et ne pas faire à la FIA au sujet de la sécurité. Nous nous sommes retirés de la discussion depuis un moment. Nous avons publié un communiqué qui remercie les recherches qui ont été faites, qui remercie la sécurité qui est apportée en Formule 1. Nous ne soutenons pas particulièrement le Halo, nous soutenons le fait que la FIA essaie de rendre la voiture plus sûre et que l’on aille toujours plus loin, donc c’est bon à savoir ».
Fernando Alonso est quant à lui beaucoup plus favorable. Il a directement souffert de la perte de Jules Bianchi et Justin Wilson, deux amis : « J’y suis favorable : je suis positif au sujet du Halo. Je pense que si une protection additionnelle pour nos têtes peut nous sauver la vie, elle vaut la peine d’être introduite. J’ai malheureusement perdu des amis, des collègues au cours de mon parcours en monoplace. Justin Wilson, et Jules Bianchi. Dans certains accidents, ça aurait pu aider dans ces conditions. En termes d’esthétique, il est difficile de satisfaire le monde entier et ça n’arrivera jamais.
Je me souviens qu’il n’y avait pas de ceintures de sécurité en F1 il y a 50 ans. De nos jours, avec les réseaux sociaux, tout le monde peut commencer à dire ‘la F1 ne devrait pas avoir de ceintures parce que les pilotes bougent et que c’est l’ADN de la Formule 1’. Ce n’est pas vrai. Si un dispositif permet d’améliorer la sécurité, introduisons-le et occupons-nous de son look dans le futur ».