Il est arrivé sur le sol stéphanois une nuit de 1972. Plus de 50 ans plus tard, l’Argentin vient toujours en France et dans la Loire, au moins deux fois par an.
Le sourire d’Oswaldo Piazza est toujours ravageur. Son accent argentin et un français très rodé racontent encore les belles histoires stéphanoises qu’il a pu connaître. De sa jeunesse marquée par un besoin de travailler très jeune au sein d’une famille de sept enfants, jusqu’à son après-carrière en Argentine, l’ancien libéro des Verts ne rechigne sur aucun sujet. Si les plus anciens d’entre nous se souviennent de ses longues chevauchées à travers le terrain, les plus jeunes connaissent également Oswaldo Piazza pour ce qu’il représente. C’est une légende de l’AS Saint-Etienne, qui compte trois titres de Champion de France, trois Coupe de France et, aussi, cette fameuse finale de 1976 en Coupe des Clubs Champions. Plus de 300 matchs disputés sous le maillot vert et un amour inconditionnel envers le club qui lui a donné la possibilité de jouer au football en Europe. Saint-Etienne restera par ailleurs le seul club du continent à avoir vu jouer celui que l’on a surnommé “le taureau”. Désormais âgé de 77 ans, Oswaldo Piazza prend plaisir à revenir dans la région pour voir ses amis, les anciens verts, et tous les supporters qui n’ont pas oublié le fabuleux défenseur argentin.
Tout sourire avec sa bonne humeur communicative, Oswaldo Piazza nous a reçu sur Saint-Etienne pour parler souvenirs, au lendemain de son arrivée en France depuis Buenos Aires, en Argentine.
Oswaldo, cinquante ans après, parler de cette époque dorée des Verts est toujours un plaisir pour vous ?
O.P. : “Quand j’y pense et que je vois que nous sommes, les anciens verts, toujours reconnus de partout en France, je ne comprends pas (rires). C’est Marseille qui a remporté la Ligue des Champions, pas nous ! Mais quand on nous remémore ces images, c’est comme une caresse au cœur que l’on nous fait. Avec l’âge, on prend conscience du parcours que l’on a pu avoir pendant toutes ces années.”
Quels souvenirs gardez-vous de votre passage à Sainté, entre 1972 et 1979 ?
O.P. : “Ce que je retiens en particulier, c’est que le club nous a mis dans les meilleures conditions pour bien jouer. On avait une salle de musculation, deux docteurs, des kinés… Tout était là pour réussir ! Quand nous avions une possibilité, on prenait l’avion pour retourner à la maison. On ne devait penser qu’à jouer le jour-j. Personne ne se prenait pour une star, il n’y avait pas de vedette dans l’équipe. Nous étions solidaires et généreux, donc j’en garde forcément un souvenir magnifique.”
Vous aviez gagné rapidement votre place sur le terrain et dans le cœur des supporters, pourquoi selon vous ?
O.P. : “Nous avions un coach, Robert Herbin, qui, très intelligemment, nous a tout de suite inculqué les valeurs de Saint-Etienne. Nous avions dans les tribunes un public de connaisseurs, de travailleurs qui voulaient des joueurs à leur image, qui ne lâchent rien. Quand je rentrais sur le terrain, j’avais une vraie sensation que je ressens encore aujourd’hui en vous en parlant. Grâce à ça, on a réussi à battre les meilleures équipes d’Europe. Puis, quand on voyait les gens venir à 3h du matin, avant le boulot, pour acheter leur billet, on était obligé de tout donner sur le terrain.”
Ressentez-vous que votre génération a marqué le football français ?
O.P. : “On ne se rend pas compte mais nous avions plusieurs internationaux français dans l’équipe. La France a joué avec des joueurs de Saint-Etienne, ils étaient nombreux à cette époque. Je n’ai pas peur de dire que notre équipe, nos joueurs, ont réveillé la France et changé le football français ! C’est un vrai élan que l’on a pu donner à ce moment-là.”
Comment avez-vous vécu la descente récente du club, qui est depuis remonté en Ligue 1 ?
O.P. : “J’étais très triste. Je reviens en France tous les ans, je vois mes anciens coéquipiers et nous parlons forcément de l’actualité du club, sans pour autant s’en mêler. J’ai le droit, quand même, de dire ce que je pense de l’ancienne direction. Beaucoup de choses ont été mal faites et, heureusement, nous sommes remontés avant que le club ne change de propriétaire. Mais quand on connaît Saint-Etienne, son passé, ça fait vraiment mal. J’espère, en tant qu’ancien joueur, parce que j’aime le foot et j’aime Sainté, que le club reviendra vite en haut de l’affiche.”
Si on remonte le temps, vous êtes issu d’une famille de sept enfants, comment a été rythmée votre jeunesse ?
O.P. : “Je viens d’un pays sous-développé. Ce n’est pas la France, ce n’est pas l’Europe, la souffrance est grande. Nous nous sommes adaptés aux conditions qu’on avait. Mon père travaillait beaucoup. A l’école, j’étais dernier de la classe. Je travaillais, dès que je pouvais le faire, avec mon père. Il préparait des billards, je me souviens, pour le Mondial de billard qui avait lieu en Argentine. On attendait que les bars ferment pour aller travailler la nuit. En parallèle, j’allais m’entraîner plusieurs fois par semaine au foot. Il fallait intégrer l’équipe première, à Lanus là où j’étais, pour être professionnel et en vivre.”
Vous jouez chez les pros à Lanus, mais cela a quand même encore été la galère pour vous ?
O.P. : “Déjà, j’ai pris une maison avec ma femme, grâce à l’aide de mes beaux-parents. Mais on a dû se battre pour pas qu’elle soit saisie par la justice, le club ne m’a pas payé pendant huit mois ! C’est même un ami, qui tenait une banque à Lanus, qui a sauvé la maison en nous accordant un crédit. Mais je suis convaincu que quand une chose bonne vous arrive, tout arrive en même temps. Ce fut le cas avec ma venue à Saint-Etienne”
Expliquez-nous l’histoire de votre venue ?
O.P. : “Je joue à Lanus, dernier du championnat, et ce jour-là on affronte Boca Juniors, le gros club d’Argentine. On menait 2-0 et on perd 3-2. Pierre Garonnaire était présent dans les tribunes, alors qu’il devait repartir en France le lendemain. Ce n’était pas prévu. Il me voit et me dit qu’il me veut pour jouer à Saint-Etienne, parce que j’avais fait un bon match. C’est le destin !”
C’était une première en Europe ?
O.P. : “Oui, et de toute ma vie ! Je ne connaissais ni l’Europe, ni placer Saint-Etienne sur une carte ! J’ai la chance d’avoir croisé avant ma venue en sélection plusieurs joueurs des Verts qui étaient avec l’équipe de France comme Larqué ou les frères Revelli. Jean-Michel Larqué d’ailleurs parlait l’espagnol, ce qui m’a bien aidé.”
Quelle impression avez-vous eu à votre arrivée à Sainté ?
O.P. : “Quand un étranger arrive dans un club, ce n’est pas facile. Mais ici, on m’a accepté tout de suite. On m’a aidé à m’adapter, à manger, à vivre. Je suis arrivé comme défenseur central, on m’a fait jouer libéro. Je n’étais jamais au bon endroit au début…”
Quel homme étiez-vous en dehors des terrains ?
O.P. : “J’étais toujours prêt à rigoler. Parfois, même, je mettais l’ambiance. Mais quand nous allions jouer, j’étais au maximum de la concentration. Je pense que j’avais le respect des autres joueurs et des adversaires. Tout ce que je voulais, c’était de bien défendre les couleurs de Saint-Etienne.”
Avez-vous des regrets sur votre parcours ?
O.P : “Je pense que nous avons toujours des regrets. Saint-Etienne m’a donné une opportunité énorme. Vous savez, j’ai fêté avec mes amis, ici, mes 75 ans il y a deux ans. J’ai senti tout l’amour de mes anciens coéquipiers. Un jour, le président Rocher m’a proposé de devenir français, j’étais resté le temps qu’il fallait pour pouvoir être naturalisé. J’ai refusé. Encore aujourd’hui, je ne sais pas vraiment pourquoi j’ai dit non…
Vous avez fini votre carrière en Argentine après ce dur renoncement à la Coupe du Monde 1978 qui se déroulait en Argentine…
O.P. : “Je voulais tellement terminer ma carrière sur cette Coupe du Monde. J’étais pré-sélectionné avec l’Argentine, qui était venu me chercher à Saint-Etienne. Mais avant la compétition, ma femme et ma fille ont eu un grave accident de la route. C’est le destin, comme nous l’évoquions tout à l’heure, ce n’était pas de mon côté.”
On sent que vous aimez toujours passionnément Saint-Etienne et la France ?
O.P : “La France, c’est la liberté, c’est la fraternité. Dans mon pays, on avait que des problèmes. Nous étions dirigés par des militaires. Alors, quand on voit tout ça au quotidien, se casser le cul pour nos supporters à Saint-Etienne, c’était normal pour moi. Récemment, les Magic Fans m’ont convié à parler pour les 90 ans du club. Mais que ce soit eux, les Green Angels ou les autres supporters, j’ai toujours été très bien accueilli.”
Comment définiriez-vous, à l’heure actuelle, votre vie en quelques mots ?
O.P. : “J’ai eu une vie de travailleur. J’ai fait tous les boulots, avec mon père, j’ai été boucher aussi, c’est une vie de sacrifice aussi pour venir en Europe pour le foot. Je pense avoir des valeurs et vivre de ma passion a été une très belle chose pour moi.”
OSWALDO PIAZZA EXPRESS
Né le 6 avril 1947 à Buenos Aires (Argentine)
Âge : 77 ans
Poste : Défenseur
Taille : 1m83
Clubs :
1967-1972 : CA Lanus (Argentine)
1972-1979 : AS Saint-Etienne (France)
1979-1982 : Velez (Argentine)
1982-1983 : AS Corbeil-Essonnes (France)